L’impact de l’environnement de travail et des habitudes de vie sur la santé est de plus en plus reconnu. Qu’en est-il de l’impact de nos habitudes quotidiennes au travail? Cet article propose un extrait d’entrevue réalisé dans le cadre du Grand Rendez-vous santé et sécurité du travail 2017 à Québec et s’est déroulé pendant la Semaine nationale de la santé mentale. L’entrevue auprès de l’auteur était menée par Marie-Claude Lavallée, journaliste et animatrice chevronnée, que nous remercions chaleureusement.

______________________________

 

Marie-Claude Lavallée (M.-C. L.) : D’abord, Guylaine, je voyais les gens écrire sur votre fresque à leur arrivée dans la salle ce qu’évoquent pour eux santé au travail, épuisement et dépression. Qu’est-ce qui ressort de cette petite enquête?

Guylaine Carle (G.C.) : Mon intention en posant la question aux gens est de faire prendre conscience qu’on porte ces visions, ces perceptions dans nos interactions. Or, comment je vois teinte comment j’agis. Si dépression rime seulement avec tristesse et noirceur, je vois quelqu’un qui traverse une telle période comme vulnérable, affaiblie. Je ne vois pas le potentiel, la richesse, les forces et la puissance de cette personne. Et si dépression, épuisement ou autres rimaient avec opportunité de changement, de transformation positive pour la personne et pour l’organisation? Une opportunité d’apprendre à mieux se connaître et se reconnaître : quelles sont mes limites, mes intérêts, mes forces, qu’est-ce qui a du sens pour moi, à cette étape de ma vie? Pour l’organisation, c’est un moment pour se questionner : doit-on raffiner nos pratiques de gestion? Devrait-on revoir notre façon de travailler en équipe?

 

M.-C. L. : Trouvez-vous qu’il y a encore trop de tabous quand vient le temps de parler de santé psychologique?

G.C. : Un Québécois sur cinq souffrira de problèmes de santé mentale au cours de sa vie. Or, lorsque je pose la question aux gens dans la salle : « Qui a déjà vécu un épisode de dépression? », ces statistiques ne sont pas au rendez-vous! Les gens dans la salle lèvent plus aisément la main lorsque je leur demande s’ils ont déjà eu une jambe ou un bras cassé ou encore des problèmes de dos. Il est intéressant de noter que je n’ai pas demandé « qui a vécu un épuisement professionnel », car déjà, c’est moins tabou et plus acceptable socialement de dire « j’ai fait un burnout » que « j’ai fait une dépression ». C’est valorisé, à la limite, on se dit « il a tellement travaillé fort qu’il s’est épuisé… ».

 

 

M.-C. L. : Parlons un peu de prévention. Quelles sont pour vous les clés de la prévention? Comment peut-on s’assurer de maintenir une bonne santé psychologique, pour être bien dans son travail?

G.C. : Une des premières clés pour rester en équilibre est, selon moi, de développer et de maintenir des habitudes pour charger ses batteries au quotidien. Il s’agit d’avoir des rituels et une discipline pour alimenter notre compte en banque énergétique. C’est normal d’avoir des dépenses, encore faut-il faire des versements régulièrement… Par ailleurs, on a parfois de bonnes habitudes pour alimenter notre santé, on bouge, on mange bien, on dort… mais au niveau de nos relations, il y en a certaines qui déchargent nos batteries et l’on se rend compte que ce sont des « patterns » relationnels qui se répètent… On peut alors soupçonner qu’on est dans des jeux psychologiques. Il y a trois rôles principaux : victime, sauveur et bourreau. Vous voyez peut-être des visages… Sans entrer dans le détail, l’idée est de s’éloigner de tels jeux pour vivre des relations gagnant-gagnant. La deuxième clé est donc de stopper les jeux psychologiques, de faire pause pour oser « questionner » nos perceptions et reprendre du pouvoir, de la puissance pour choisir comment on veut se relier aux autres. Où est-ce que j’ai du contrôle dans la situation (plutôt que de me sentir victime)? Est-ce que j’ai vraiment besoin d’être un super-héros (pour ne pas prendre tout sur mes épaules comme sauveur) ? Est-ce que mes attentes sont claires, partagées et réalistes (pour la personne qui étire l’élastique des autres en agissant en « bourreau »)?

 

M.-C. L. : Comment fait-on pour reconnaître que quelque chose ne va pas en soi ou chez un collègue ? Est-ce qu’on se mêle de nos affaires ? Ou au contraire, est-ce qu’on tente de parler au collègue en question?

Le premier signe est un changement. C’est normal d’avoir des fluctuations dans notre énergie, dans notre concentration, par exemple. Mais si l’on observe des changements depuis quelques semaines, plus de signaux de déséquilibre chez un collègue ou encore son gestionnaire, on ose lui en parler. Il y a beaucoup de malaise à parler de santé psychologique, notamment lorsque quelqu’un revient d’un arrêt de travail. Il y a aussi beaucoup de honte chez les personnes qui réintègrent leur travail après un arrêt. Alors on ne se parle pas, car on ne sait pas comment aborder la question… On peut simplement dire : « Je ne te reconnais plus, ça me préoccupe, comment je peux t’aider? »

 

M.-C. L. : Quand c’est nous qui n’allons pas maintenant : comment savoir qu’on est rendus au bout du rouleau?

G.C. : Nous avons l’habitude de nous assurer que notre téléphone cellulaire est chargé. On ne se dit pas « je vais voir si ma batterie va tenir le coup aujourd’hui »… Pourtant, nous n’avons pas toujours l’habitude de vérifier l’état de nos propres batteries. Utiliser ce vocabulaire des batteries permet de rendre ça concret et simple dans les communications. Et là, je fais référence à nos trois batteries, soit la tête (le mental), le coeur (l’émotionnel) et le corps (le physique). Chacune d’elles est au vert ? Au jaune? Au rouge? Sur laquelle puis-je m’appuyer ces temps-ci pour alimenter les autres ? La campagne annuelle de promotion de la santé mentale 2017-2018 « 7 astuces pour se recharger » lancée par le Mouvement santé mentale Québec utilise d’ailleurs l’analogie de la batterie (campagne@mouvemensmq.ca).

 

M.-C. L. : Guylaine, vous avez le don de trouver des images très parlantes : une que j’aime bien est celle du CAA.

Lorsqu’on a un problème avec notre voiture, on appelle le CAA. Mais pour vous, il faut s’occuper aussi de notre propre CAA…

G.C. : Malgré nos différences de personnalité, de parcours de vie, de générations, nous avons trois besoins fondamentaux qui nous relient comme humains et qui alimentent notre motivation au travail, notre santé et notre performance, soit le besoin de compétence, d’autonomie et d’affiliation sociale. Si on doit cibler où investir nos efforts pour créer de l’énergie, de la santé et de l’efficacité, on peut penser à alimenter notre CAA et celui des autres. Le besoin de compétence est le besoin de se sentir efficace dans l’atteinte d’objectifs et performant dans ce qu’on fait. Le besoin d’autonomie est notre besoin d’avoir de la marge de manoeuvre, de décider du « comment » j’atteins les résultats. Le besoin d’affiliation sociale est le besoin de sentir que nos relations interpersonnelles sont satisfaisantes et que le climat est sain. C’est aussi de sentir qu’on appartient à un groupe. L’idée est encore une fois de créer des habitudes en milieu de travail, gestionnaire comme employé, pour alimenter concrètement, par de petits gestes, ces besoins. Est-ce qu’on prend le temps de dire bonjour le matin ou merci, par exemple?

 

M.-C. L. Pour ceux qui, dans la salle, s’apprêtent à réintégrer leur travail après un long arrêt ou ceux qui s’apprêtent à accueillir ces travailleurs ou ces gestionnaires, quelle est selon vous la meilleure façon de réussir son retour au travail?

G.C. : Il est essentiel de prendre le temps de préparer le retour avant le premier jour au travail. Impliquer tous les acteurs concernés : employé, gestionnaire, équipe de travail. Écouter les préoccupations de tous et les amener à trouver des pistes de solutions pour coconstruire ensemble le retour. Poser la question à l’employé par exemple : comment veux-tu être accueilli?

 

M.-C. L. En terminant Guylaine, avez-vous un message pour ceux qui se sentent fragiles en ce moment dans cette salle?

G.C. : 30 % seulement des personnes qui font une dépression demandent de l’aide. Ceci démontre l’importance d’oser en matière de santé psychologique. Oser parler, oser tenir des conversations délicates pour contrer les malaises et la honte liée à la stigmatisation. Oser prendre de la hauteur, pour avoir de la perspective et laisser émerger les possibilités…

 

En espérant que cet article aura pu démontrer comment certaines habitudes concrètes au travail aident à maintenir une saine performance et à quel point oser parler de la santé psychologique en milieu de travail contribue à la santé et à la réussite individuelle et collective.

 

Chaleureusement

Guylaine

© Tous droits réservés. Ce texte a été créé et rédigé par Guylaine Carle, Psychologue organisationnelle. Si vous souhaitez le partager, nous vous demandons de le publier dans son intégralité et en totalité, en citant sa source.